Dans le cadre scolaire de nombreux élèves peuvent rencontrer des difficultés  qu’elles soient passagères, retard scolaire ou réellesl difficultés d’apprentissage . L’expatriation peut  être un détonateur voire un amplificateur  des ces difficultés. Dans tous les  cas il est importants de les  détecter et de les  prendre en compte pour aider ces élèves. J’ai eu le plaisir de rencontrer Helene Peteau Ergothérapeute et Enseignante FLE, pour en parler. 

 

Hélène peux-tu nous expliquer la différence entre un retard scolaire et un trouble des apprentissages (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie…)?

Quand un élève a un retard scolaire ou présente un trouble des apprentissages, les conséquences sont toujours les mêmes : il est en difficulté d’apprentissage. Il présente les mêmes symptômes mais avec des causes différentes.

Dans le cas d’un retard scolaire, l’élève n’a pas acquis des compétences académiques en lien avec sa classe d’âge pour des raisons diverses. Très souvent, un soutien scolaire suffit pour aider l’enfant à « rattraper son retard ». Lorsque le problème perdure malgré le soutien scolaire (minimum 6 mois), il faut le diagnostic d’un professionnel de rééducation pour dépister les apprentissages qui n’ont pas été encore automatisés.

 Peux-tu nous donner des exemples ?

Un élève qui n’a pas automatisé la lecture va présenter une dyslexie (par exemple, il peine à reconnaitre les lettres). Un autre enfant qui coordonne mal ses gestes ou ses yeux, va être en difficulté pour écrire et/ou pour dénombrer en mathématiques (il présentera une dyspraxie, une dysgraphie et/ou une dyscalculie).  Cette non-automatisation des apprentissages (lecture, écriture, calcul) va entrainer une situation de double-tâche. Par exemple, un enfant qui écrit une dictée va devoir focaliser son attention sur son orthographe (comme les autres élèves) mais aussi sur son écriture.

Je compare cette situation à nous adultes : nous sommes capables de conduire à Barcelone et discuter en même temps. Conduire à Londres (donc à gauche) pour la première fois est si difficile que nous ne serons pas en mesure de converser en même temps !

Donc notre enfant qui fait sa dictée peut faire des fautes d’orthographe, oublier des lettres car il est trop concentré sur son écriture. Sa note de dictée ne sera pas en corrélation avec son niveau réel en orthographe. Pour cet élève, on peut proposer comme aménagement d’épeler les mots ou de les écrire à l’ordinateur pour éliminer la tâche d’écriture. Je vous conseille la lecture d’un article de mon blog à ce sujet : https://www.ergotherapie.peteau.com/post/eleve-a-barcelone-comment-savoir-si-mon-enfant-a-un-trouble-des-apprentissages)

 Quand un parent perçoit des difficultés chez son enfant, que doit-il faire ?

Il y a deux démarches : tout d’abord, parler de ses doutes à l’enseignant. Celui-ci voit l’élève en situation d’apprentissage et il peut apporter des informations utiles. Mais parfois, le trouble est invisible car ces élèves sont très intelligents et ils compensent leurs difficultés en effectuant des efforts démesurés.

La deuxième démarche à faire est d’aller voir un professionnel de la rééducation. En ergothérapie, ma formation et mon expérience me confèrent 5 domaines d’expertise : la dyspraxie, la dyspraxie visuo-spatiale, la dyscalculie d’origine visuo-spatiale, les troubles des fonctions exécutives et les difficultés d’intégration neuro- sensorielle. Ce sont des domaines de compétences non-verbales, alors que l’orthophoniste est spécialiste des troubles du langage oral et écrit.

 Tu es ergothérapeute diplômée en France et aux Etats Unis. En quoi consiste ton travail ?

Je reçois dans mon cabinet des enfants qui présentent des difficultés dans les activités scolaires et quotidiennes. Voici 4 exemples d’enfants que j’accompagne :

Pablo, sept ans, a des difficultés à coordonner et à planifier ses gestes. Il a du mal à tenir son crayon, à apprendre la graphie.

 Jordi est en CM2 et présente des difficultés spécifiques touchant le calcul mental en lien avec des troubles de traitement visuo-spatial.

 Jade, six ans, présente un Trouble du Processus Sensoriel : elle est en recherche sensorielle intense entrainant un comportement d’enfant perturbateur et turbulent. Ses difficultés affectent ses capacités attentionnelles et de ce fait, ses apprentissages.

 Mathieu, 11 ans peine à se repérer dans le temps et ne peut écrire ses devoirs correctement dans l’agenda, apprendre l’heure et organiser son temps pour faire les devoirs ou être autonome.

 Pour Pablo, Jordi, Jade et Mathieu, j’ai effectué un bilan pour poser le diagnostic : de dysgraphie, dyscalculie d’origine visuo-spatiale, trouble du processus sensoriel et de dyschronie. Pour cela, j’utilise des bilans pointus et étalonnés (qui permettent de comparer les résultats de l’enfant avec ceux des autres enfants du même âge). Ces bilans sont si pointus qu’ils permettent de cibler l’origine de la difficulté. En mathématique par exemple, les bilans permettent de savoir si c’est un problème de numération, arithmétique, de dénombrement, de pose des opérations, d’estimation des grandeurs ou de résolution de problème. La remédiation cognitive qui s’ensuit vise la rééducation des fonctions altérées. Elle est mesurée (dans ma pratique tous les 2-3 mois) afin de mesurer l’efficacité de la remédiation et de réajuster le projet si besoin.

Evidemment, les acquis doivent être transférés dans les activités de la vie quotidienne et scolaire, au domicile et à l’école, pour que l’enfant en tire un réel bénéfice.

Enfin, en 3ème lieu, je fais des propositions d’aménagements scolaires (ou des compensations). « Compenser, c’est permettre de faire pareil mais autrement » (1). On ne doit pas diminuer les exigences scolaires de l’élève mais on doit l’accompagner avec des aides extérieures pour acquérir les savoirs du programme scolaire.

Ce sera un ordinateur pour un enfant qui est en difficulté pour écrire, une calculatrice pour un enfant qui ne peut dénombrer, des supports visuels (lignes de couleur ou gabarits d’opération) pour un élève ayant une dyspraxie visuo-spatiale. A mon sens, c’est comme un enfant qui porte des lunettes parce qu’il a une myopie !

 Pour mettre tes recommandations en oeuvre, collabores tu  avec les enseignants ?

Oui, je collabore systématiquement avec les enseignants. L’ergothérapeute, spécialiste des activités de la vie quotidienne agit au plus près des lieux de vie de l’enfant qui vont être l’école et le domicile. Si l’enfant présente un trouble de l’apprentissage, il intervient dans les écoles pour interagir avec les enseignants, évaluer l’efficacité des aménagements scolaire, etc.

Je collabore aussi beaucoup avec les familles pour faire en sorte que les acquis effectués en séance soient appliqués à la maison et à l’école.

 Tu fais ce métier depuis 1994. Quelle évolution remarques-tu dans ta pratique?

En effet, mon travail a fortement évolué en 25 ans. La loi sur l’inclusion scolaire de 2008 a fait avancer les mentalités en France, mais aussi les connaissances scientifiques, grâce aux recherches cliniques appliquées aux neurosciences.

Lorsque j’ai commencé à travailler en pédiatrie, en 1994, on ne parlait que de la dyslexie. C’était l’arbre qui cachait la forêt ! Et on ne proposait comme aménagement scolaire que le tiers-temps. Les autres troubles et les adaptations étaient inconnus.

Puis, nous avons commencé à nous intéresser aux fonctions exécutives et au TDAH(2). J’ai d’ailleurs eu la chance de travailler avec le Dr Michèle Mazeau et Florence Marchal à Paris, pionnières dans ce domaine. D’autres troubles sont apparus, non pas parce qu’ils n’existaient pas précédemment mais parce qu’on ne savait pas les dépister ! On considérait certains enfants comme « maladroits », ou n’ayant pas « la bosse des math » par exemple. On comprend mieux maintenant leurs troubles neuro-développementaux et nous avons des outils pour les aider à les surmonter. Nous vivons une époque formidable dans le domaine de la connaissance neuropsychologique ! J

 Ton expérience de professeur t’aide-t-elle dans ton travail? 

J’ai été  5 ans  professeur de Français Langue Etrangère de la maternelle à la 6ème à Saint Josaphat School à Chicago. J’ai enseigné aussi la phonétique à l’Alliance Française de Chicago pour des adultes.

Cette expérience  et ma connaissance de l’enseignement m’a permis d’être « réaliste » quand je préconise des aménagements scolaires à des élèves. Je tiens compte au maximum de la contrainte que représente la mise en place des outils compensatoires en classe pour un enfant alors que l’enseignant a minimum 30 élèves dans sa classe. Par exemple, un enfant qui a des difficultés pour écrire ne peut pas utiliser la dictée vocale (pour convertir sa parole en texte sur l’ordinateur) car cela dérange toute la classe. Par contre, il pourra l’utiliser à la maison de manière très efficace.

Tu exerces à Barcelone aujourd’hui, ou de nombreux enfants sont en situation d’expatriation courte oou longue.  Est-ce que le fait de vivre à l’étranger complexifie le parcours scolaire de l’enfant ?

Je pense que toute expatriation complexifie le parcours scolaire des enfants surtout s’ils vont dans une école où ils ne parlent pas la langue. C’est parfois un tel chamboulement pour la famille avec des répercussions émotionnelles et organisationnelles, qu’un enfant DYS est déstabilisé comme les autres membres de sa famille.

Mais ces enfants DYS sont intelligents et dotés souvent de grandes capacités d’adaptation (ils surmontent leurs difficultés depuis qu’ils sont nés). Ils apprennent la langue du pays et s’approprient la culture environnante comme les autres enfants.

Il faut garder à l’esprit qu’un enfant DYS, dans son pays natal ou à l’étranger a besoin d’un diagnostic, d’une remédiation cognitive et des aménagements scolaires.

Parfois, l’absence de professionnels francophones de la rééducation rend difficile le dépistage des troubles et la pose du diagnostic. J’ai une forte demande d’enfants scolarisés dans d’autres pays (par internet) où il manque des professionnels localement pour les accompagner. Ce sont donc des enfants qui consultent très tard, souvent au collège, voir au lycée. Ils sont très découragés car ils sont en situation de souffrance depuis longtemps et leurs difficultés impactent grandement la sphère psycho-affective. Je trouve cela très dommage.

Nous, professionnels à l’étranger, avons aussi cette responsabilité de sensibiliser un maximum les familles sur les troubles des apprentissages et je te remercie Brigitte de m’en donner l’opportunité au travers cet interview.

 

(1). Pouhet, A., Cerisier, M., Difficultés scolaires ou Troubles DYS ?, Paris, Retz, p.93.

(2). TDAH : Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité.