La réforme du bac impose aux étudiants de revoir leur parcours scolaire en choisisant des options.  L’orientation scolaire en tant que conseil et accompagnement  parait encore plus évidente. Anne Saci, responsable en orientation scolaire;  nous explique pourquoi. 

 

«Cette année, c’est la mise en place de la réforme du nouveau bac en 2021, que voyez vous apparaitre comme questions et problématiques ?

Beaucoup de questions et beaucoup d’anxiété de la part des parents, des jeunes et de leurs enseignants! C’est tout à fait normal, quand on change les paradigmes d’un cadre déjà anxiogéne en soi, tout le monde panique!  Les parents, chez qui l’orientation génère tellement d’angoisses et de questions, sont perdus et ont peur que leur enfant « essuie les plâtres. » La tentation est de recréer les filières, ce à quoi je réponds : surtout pas!

Ce qui change, c’est qu’on demande désormais au jeune de faire des choix, en éclatant les filières et en leur donnant la possibilité de se construire un parcours personnalisé. Cela me paraît être une grand preuve de respect des jeunes, car c’est à eux de se prendre en main et ils n’aiment pas qu’on leur impose leur destin! Mais qui dit choix, dit questions, doutes : le changement et la liberté, ça fait peur surtout quand on perd ses repères! Et les filières étaient un repère puissant. Mais parfois destructeur: combien j’ai eu de jeune lycéens souffrant parce qu’ils avaient pris la filière S sans être scientifique ou la filière ES par dépit! 

Le fait de choisir ses spécialités dès la 1ère leur donne la possibilité de se positionner. Par rapport à soi, ses valeurs, ses aptitudes, son projet. Et non plus en fonction de la filière royale ou la filière poubelle. Je trouve ce changement plutôt bénéfique, il s’agit de débuter un projet d’orientation individualisé! 

L’esprit de la réforme, c’est que les jeunes fassent un «choix de spécialités qui les motive». Dans motiver, ex movere, il y a cette idée de se mettre en action.  Or, qu’est-ce qui motive un jeune? Le succès, la confiance, l’envie, le plaisir, le cap. Le moteur de la motivation repose sur ces 5 paramètres clés.

Aux jeunes, je leur dis. Choisissez des spécialités qui vous animent, que vous aimez et dans lesquelles vous êtes bons. Aux parents qui ont peur que ces choix de spécialités ne correspondent pas au système d’études supérieures et sont tentés de reformer les anciennes filières, je leur réponds que toutes les écoles sont en train de revoir leurs attendus pour correspondre au nouveau Bac et accueillir des profils plus diversifiés. Les processus d’admission sont en train de se renouveler partout ( plus de concours d’entrée à Sc Po, tout le monde ou presque sur Parcoursup,  et à l’étranger des dossiers qui comprennent des vidéos de présentation de soi…)

Mes conseils : du bon sens surtout ! Si on est scientifique et qu’on a projet d’étude scientifique, choisir au minimum deux spécialités scientifiques voire trois ! Si on veut être ingénieur, on garde la physique-chimie avec les maths. Si on est intéressé par le monde qui nous entoure et  que lon aime écrire, choisir deux  spécialités littéraires et une troisième qui correspond à soi, ses envies, de l’informatique ou des arts! 

La problématique de ce nouveau Bac, c’est de bien se connaître, d’avoir un regard de maturité sur soi et son parcours scolaire, et ceci n’est pas facile pour un jeune de 15 ans. Les parents et les enseignants peuvent l’aider à prendre ce recul nécessaire, et si la prise de décision est trop complexe, on peut envisager de faire appel à un professionnel et de faire le bilan d’orientation à ce moment là. La question de l’orientation se pose donc de plus en plus tôt, c’est un fait.

La seconde problématique concerne les lycées français de l’étranger: tous les lycées ne proposent pas toutes les spécialités. Et c’est vraiment dommage, parce qu’il n’y a rien de pire que de créer des expectatives de choix à des jeunes pour doucher ensuite leurs souhaits.  En terme de motivation, c’est loin d’être performant…Les lycées français se retrouvent donc avec des spécialités qui reprennent les anciennes filières… La nouvelle spécialité « Numérique et sciences informatiques», qui a un fort pouvoir (légitime) d’attraction sur les lycéens, n’est  proposée dans aucun Lycée français d’Espagne…et celle d’Arts non plus, qui permet pourtant d’ajouter une touche personnelle forte dans un parcours…Je trouve aussi très surprenant  que dans des lycées français de l’étranger, la spécialité de langues ne soit pas proposée partout ! Il ne faut pas hésiter à interpeler l’AEFE ! Espérons que cela soit amené à évoluer pour que la réforme prenne tout son sens et concerne tous nos jeunes. 

Parents, sachez que certains lycées proposent de suivre une spécialité par le CNED  si elle ne peut pas être proposée en classe, le lycée Bel Air aux alentours de Barcelone l’a fait pour la spécialté Humanités, littérature, philosophie pour une seule élève (motivée!)

Vous vous occupez d’orientation scolaire pour les élèves  français  .  Quel est l’accompagnement que vous apportez aux jeunes et  mais aussi aux parents ? 

Votre question est vraiment pertinente parce qu’en effet, les bilans d’orientation que je propose sont un accompagnement du jeune ET de ses parents. C’est un vrai accompagnement familial. Le jeune homme ou la jeune femme en construction a besoin d’être aujourd’hui soutenu dans son projet par ses parents,  quel que soit son projet. Et c’est très aidant pour un parent qui est parfois démuni et perplexe de lui expliquer en quoi la carte du monde de son enfant n’est pas la même que la sienne. Le jeune est encore très lié à son parent : les opinions et les réactions de celui-ci ont un impact sur ses choix, parfois mal mesuré. J’inclue donc les parents des lycéens au début et à la fin du protocole du bilan. Celui-ci se déroule en 3 séances, en présentiel ou par Skype (j’ai beaucoup  d’élèves expatriés dans des lycées lointains). 

Le bilan d’orientation permet au jeune d’illuminer son potentiel, c’est à dire de connaître ses ressources et de savoir comment les mettre en action, dans un objectif double: comment être compétent ET heureux. Je suis analyste de la personnalité professionnelle, laquelle permet d’expliquer dans quelle tâche/responsabilité/fonction le jeune sera efficace et épanoui. Grâce à des échanges, questionnaires, tests avec les jeune et ses parents, nous verrons quel type d’études, quel type de métiers, correspondent à sa personnalité et quelles sont les pistes envisageables, bonnes pour lui. La prépa, ça ne convient pas à tout le monde, même si on a 17 de moyenne générale!

Il s’agit de donner des outils pour se construire un projet désirable et motivant. 

Les jeunes que je reçois envisagent souvent de faire leurs études à l’étranger ou en France. Or les systèmes d’éducation supérieure sont de plus en plus complexes et changent constamment.  J’informe les familles sur les cursus existants, sur ceux auxquels ils n’ont pas encore pensés, soit parce qu’ils n’existent pas dans notre culture ( je pense aux Liberal Arts ), soit parce qu’ils sont nouveaux  ( Bachelors ) . Nous regardons ensemble quel type d’environnement, de cadre pédagogique, de climat, de contraintes financières, d’opportunités, de reconnaissance ou d’innovation, convient au jeune.

 Si celui-ci a besoin d’être accompagné dans son inscription dans les grandes écoles ou universités étrangères, je peux le mettre en relation avec une agence en coaching d’admission avec laquelle je collabore. Il n’est pas rare que je propose au jeune de le revoir quelques mois après, lorsque le projet aura été plus affiné.

Quel est le meilleur moment pour faire un bilan d’ orientation scolaire?

Je préconise de faire un bilan après l’âge de 15 ans. En effet, avant, l’intérêt d’un ado. pour son orientation est minime; ce qui compte, c’est la socialisation avec ses pairs, ses copains. Lorsque les questions inconfortables commencent à se poser, du type: « Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de ma vie? »,  «  Est-ce qu’il existe des études et/ou un métier qui correspond à mes passions, mes talents? », ou que des décisions d’orientation doivent être prises dans l’année, c’est le bon moment de faire un bilan d’orientation. J’ai l’habitude de dire aux parents : même si vous êtes prescripteurs, vérifiez bien que votre jeune est demandeur!

Il vaut mieux faire un bilan dans l’année de première ou tout début terminale, pour avoir le temps avec soi. Si le choix des spécialités en fin de seconde est compliqué, on peut envisager de faire le bilan à ce moment-là. Certains jeunes qui viennent me voir n’ont pas d’idée ; or, ils doivent prendre des décisions, faire des choix. D’autres viennent pour confirmer ou infirmer leur projet. Comme le rappelle Aristote: «La vocation, c’est quand vos talents rencontrent les besoins du monde. » C’est cette prise de conscience qui est déclencheur de motivation et d’action.

Avez-vous des conseils clés à donner aux jeunes (et aux parents) qui  entrent  en 1ere pour réfléchir a leur orientation ? 

Il faut commencer avant la 1ère ! Non pas en terme de métier, rappelons que les métiers qu’exerceront nos jeunes n’existent pas encore pour bon nombre d’entre eux, mais en terme de type d’études. Le choix des spécialités compte ! Et je dis aux parents : ce n’est pas la stratégie qui est importante, c’est la cohérence du parcours. Il ne s’agit évidemment pas de demander à un jeune de décider son projet professionnel en 2nde, mais qu’il puisse argumenter ses choix et ses décisions. Alors oui, la réflexion doit se faire en amont, et non plus pendant la seule année de Terminale.  Il s’agit de s’interroger sur ses goûts, ses appétences et ses aptitudes, c’est un beau chemin vers l’âge adulte. Il ne s’agit plus de choisir les maths parce qu’»on ne veut se couper aucune porte! »

Les recruteurs pour les études supérieures veulent des jeunes qui connaissent leur valeur et peuvent la prouver ! Alors pour les élèves de 1ère, je leur conseille de s’observer et de choisir pour la Terminale les 2 spécialités où ils sont les meilleurs et qu’ils apprécient le plus. Celles aussi qui leur seront indispensables pour leur projet futur. Si on veut être ingénieur, on doit garder la physique bien sûr; et si on pense l’abandonner, veut-on vraiment faire des études d’ingénieur?

Enfin, pensez aux soft skills, les fameuses compétence en savoir-être, de plus en plus appréciés sur un CV de lycéen, que ce soit pour des études en France ou à l’étranger ! Le parcours d’un jeune qui aura choisi l’option maths en étant très moyen et qui n’aura pas d’autre choix que de travailler avec acharnement en 1ère et Terminale, sera moins valorisé que celui d’un autre qui aura fait un autre choix et aura eu le temps de développer un projet international pendant ses vacances ( au lieu d’un stage de remise à niveau ) ou une activité extra scolaire intéressante…

On doit aussi s’autoriser à changer d’avis ! Si le projet au début de première est de faire une école de commerce et qu’on a envie d’abandonner la spécialité Sciences économiques et sociales en fin de première pour garder l’histoire géo et la philo, il sera peut-être bon de s’interroger sur la validité du projet de faire une Business school ! Je recommande aux parents de ne rien cristalliser, d’être patient, de s’informer et de proposer.  Bref, d’accompagner le jeune en accueillant avec bienveillance leur singularité qui s’affirme. D’éviter le « Je le vois pas là dedans… » ou toute autre projection et être flexible !  Une idée peut apparaître en octobre puis disparaître en janvier, c’est normal c’est tout un processus de construction de projet! Le plus important, c’est de penser à ce qui est bon pour SON enfant et de lui faire confiance.

Je conseille aux jeunes d’aller sur les salons et aux journées portes ouvertes pendant leur année de première ( celles-ci sont souvent tard dans l’année ) . Certains auront un vrai besoin de voir les lieux, quand d’autres liront les forums  d’étudiants ou d’autres encore échangeront avec d’autres étudiants sur les salons: chacun sa manière de se projeter. Et surtout, j’insiste vraiment là-dessus, on évite la pression et le stress !  Le stress paralyse, fait faire de mauvaix choix. C’est le pire conseiller pour l’orientation. L’idée d’inclure le contrôle continu et de concevoir le nouveau Bac sur 2 ans est une bonne chose pour éviter le coup de feu du printemps de terminale. Utilisez donc le temps comme un allié !

Enfin, beaucoup de lycéens ont peur de choisir, il faut donc les rassurer, en leur faisant connaître des cursus où ils pourront faire de l’art ET du commerce, du droit ET des langues etc. 

Les temps ont changé, maintenant les passerelles existent, ce qui est important c’est de se tricoter son parcours. Un parcours qui commence au lycée. Il s’agit bien d’ouvrir le champ des possibles!»